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Paisani in anda pà a fiera di u Niolu. LC Canniccioni v 1910

24/02/18

Milena J

Sintedi una bucciaredda, (focu vivu), chi s'intratiniva cù me stessu, in lingua francesa. Comu sarà statu chi, sta lettara appuntu, diciva di i sentimenti mei ? E, par ciò chi era di fantasmi o finzioni, mi viniva una brama prufonda di nuttriscia li. Quantu ch'Edda, tintaredda, fussi stata di i mei. 
Andeti voi à capiscia...


"Prague, printemps 1922

Voilà si longtemps que je ne ne vous ai pas écrit Madame Milena. Tout le malheur de ma vie (ce qui ne veut pas dire que je me plains, mais que je veux faire une constatation, dans l'intérêt général), tout le malheur de ma vie vient, si l'on veut, des lettres ou de la possibilité d'en écrire. Les êtres humains ne m'ont presque jamais trompé mais les lettres toujours. Mais, en fait, pas celles des autres, les miennes. La facilité de l'écriture des lettres, d'un point de vue simplement théorique, doit avoir causé une effroyable désagrégation des âmes dans le monde. C'est une fréquentation des fantômes et pas seulement du fantôme du destinataire, mais aussi de son propre fantôme qui se développe sous la main, dans la lettre qu'on écrit. Écrire des lettres c'est se dénuder devant des fantômes, ce qu'ils attendent avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas jusqu'à destination, mais les fantômes les boivent sur les chemins jusqu'à la dernière goutte. Les fantômes ne mourront pas de faim, mais nous serons anéantis. 
Cette histoire de lettres m'a donné l'occasion d'écrire une lettre et, puisque j'écrivais, comment aurais pu alors ne pas vous écrire Madame Milena ? À vous qui êtes celle à qui j'aime, peut-être, le plus écrire ?"*

Spartedi stu fattu cù Lejean e tandu eddu, mi dissi : 
"Eux aussi, nos fantômes, ont le droit de s'abreuver aux miels et aux sucres doux de nos maux, ne croyez-vous pas adjudant ?" 

"Petit fantôme, pauvre petite fille seule, je t'aime, tu le sais et je t'embrasse. Tu me manques tant."



*F Kafka, Lettres à Milena, Imaginaire Gallimard, 1998.