Comme Neyron est loin...
Figurez-vous, qu'il a travaillé toute sa vie entière à Caen et dans la confection ! il était fabricant.
Aussi ne manque-t-il pas une occasion pour venir, presque chaque jour pour nous rendre visite. Il partage alors avec nous ses secrets de couture et nous rions ensemble, car il est très taquin.
Le voilà à son affaire décrivant les erreurs grossières des jeunes ouvrières, les trébuchements des anciennes sur les machines neuves, les tics de langage de son épouse qui est restée en ville. Immanquablement, il vient à l'heure du thé, se complet à se faire prier pour se faire inviter, apportant dragées, madeleines ou chocolats, parfois un brin de mimosa chacune. Nous, nous lui racontons l'envers du décor et comment réagissaient ses clientes parisiennes à toutes ses nouveautés que nous connaissions bien.
Les heures s'égrainent ainsi, remplies d'un vide salvateur qui semblait nous combler. Mahy* oublie momentanément sa douleur. Mais, à la tombée du jour, la voilà à nouveau sombre, comme seule sait être sombre la nuit de bords de mer sans lune, sans phare. Rien n'y fait et malgré Lompret et ses futilités. Hier encore, aux alentours de minuit, je l'ai trouvée errante dans les rues du hameau, hagarde, épuisée, sans souffle, comme anesthésiée, avec le visage crispé d'une neurasthénique.
La voilà, pauvre enfant, veuve à vingt deux ans à peine, abonnée aux malheurs de l'Absence.
Qu'a-t-elle fait au bon Dieu pour mériter cela? Rien sans doute.
Je n'ose vous donner notre adresse, j'hésite, je ne sais pas.
Alexia