Paris, le 15 décembre 1916
Cher Sarratu,
Que vous dire ?
Si, dimanche dernier notre logeuse nous a amenées, tante et moi au musée du Louvre. Le musée, qui est à moins d'une heure de la maison, est installé dans un ancien palais royal austère aux murs noirs et tristes, vraiment tristes.
Nous avons visité des salons très divers, dire que je ne savais pas ce qu'était un musée !
Ce qui m'a le plus impressionnée est, sans doute, la collection égyptienne. On y trouve, par exemple, la tête roi Didoufri (ce nom m'a fait rire...) tout récemment acquise par le musée. J'ai été interpellée par ses yeux profonds mais figés, gravés dans un bloc de grès rouge, si finement taillé.
Plus loin, on découvre des pierres couvertes de dessins. Mme du B. m'explique qu'il s'agit là de la première écriture que le monde ait connu des iè-rò-glifes. À chaque dessin correspond un mot ou une syllabe et le tout forme des phrases étonnantes. Sur une pierre, on peut ainsi lire: "Khéperkarê doté de vie et pouvoir comme Rê éternellement, aimé de Satet".
Je n'ai pas tout compris mais j'ai retenu qu'il y a donc plus de 4 000 ans l'amour éternel existait déjà !
J'aimerais savoir déchiffrer ces rébus. Comprendre ces signes muets dont l'ordonnancement est aujourd'hui devenu inutile mais dont le sens persiste et qui a pu traverser les siècles.
Apprendre à écrire ces signes, pour ne pas être comprise.
Peut-être pour écrire à quelqu'un qui ne veut plus me lire ?
Oui, c'est ça, je crois que je voudrais écrire à une pierre qui ne puisse plus lire, plus me répondre, je vous aime.