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Paisani in anda pà a fiera di u Niolu. LC Canniccioni v 1910

09/07/17

Lettre à une absente

4 décembre 1916

Chère Huguette,

Le front est calme.
Votre lettre m'est enfin parvenue. Elle est datée du 23 novembre 1916.
Je ne sais que penser: est-elle la dernière que vous m'ayez envoyée ou les autres se sont elles perdues en route? Au ton que vous employez, il me semble que ce soit bien la première depuis des mois. Celle, en sorte, qui met fin, enfin, à ma punition.
Que vous dire d'abord ?
Que dés sa réception, un doux feu intense s'est emparé du profond de mon être. Les obus prussiens font moins de chaleur en moi, que ne peuvent faire chacune des lettres de chacun de vos mots.
Je vous ai trouvée distante, cassante.
Que dois-je dire pour enfin me justifier?
Que je sais être lâche ? Oui, oui, oui !
On peut, vous devez le savoir, réussir ses sorties de tranchées, s'époumoner au sifflet du "à l'attaque" et houspiller les hommes (surtout, les misérables, ceux qui réfléchissent et qui ont peur de la mort). Oui, on peut avoir ce courage là et se désespérer d'une absence, d'un silence, d'un mépris, et fuir, alors, alors qu'on veut rester.
Huguette, je-vous-aime, et cet aveu me coûte autant qu'il est sincère.
Je vous aime depuis notre rencontre, depuis avant même votre tout premier souffle. Et vous devez savoir que ce silence résonne en moi comme un immense vide au coeur d'une montagne qui s'en va s'effondrer.
De ce que je sais de vous, cet aveu ne touchera qu'une partie de vous même. Comme si vous étiez deux:
Comme j'aime la claire, je redoute la sombre: celle qui s'enferme et qui se persuade. C'est la sombre qui sort le plus souvent vainqueur de ce combat singulier qui se déroule en vous. Mes mots, mes pauvres mots touchent donc l'une, comme ces mêmes mots glissent sur la peau rugueuse de l'autre. Des mots qui ne sont surtout pas là pour vous toucher mais qui sont simplement là, pour vous dire.
Je vous aime et ce depuis toujours et avant notre rencontre, avant votre enfance même. Et alors ?
Vos mots ont guéri mes nuits noires et mes journées blanches, sans répit, et vous êtes à moi !
Votre silence, votre sévérité nourrissent mon désespoir, chacune de mes pauvres làchetés, source parfois de nos échecs et alors, là justement: je vous perds ou je fuis.
Pour ce qui est du reste, l'avenir l'écrira. Je vous en supplie, ne joignez pas votre encre noire à ce triste spectacle.
Huguette, vous l'avez donc compris: un mot, un seul mot de vous est une onction précieuse, pour un être affaibli par la pluie, le froid, le noir, la charogne, la gangraine qui nous touchent, pauvres hommes, déjà meurtris, déjà morts mais malheureusement, encore vivants.
Comprenez-vous cela ? Y répondrez-vous ? Faut-il que je déserte ?
Oui, j'ai besoin de vous voir pour rendre un sens à nos deux existences.
Je me noie au milieu de tranchées gorgées de boues très sales. Je me noie.
Comprenez-vous cela ?
Vous même chère Huguette, trouvez-vous le sommeil ?

Sf