Bien chère Huguette,
L'impression me parcourt, il semble que cela fait des mois, des années, que je suis sans nouvelles.
Mais quelle faute, aujourd'hui donc, vengez-vous ?
Peut-être ne lisez-vous même pas cette bouteille à la mer.
J'ai donc tout raté et peut-être êtes-vous satisfaite, même, de ma plainte lassive?
Je ne sais que penser. Je trouve la punition sévère, mes mots semblent ne plus suffire. Alors, que voulez-vous? Voulez vous que je déserte ces lignes pour revenir vers vous ? Mais, comment ne pas vous déranger ? Dans votre dernier courrier, vous me disiez votre bonheur d'être à Paris, qu'y ferais-je moi même?
Or vous le voyez bien, mon chapelet à moi est fait de cent mille points de questionnement. Votre miséricorde, à vous, n'est-elle que ce silence ???
Le jeu n'est pas égal et ce n'est pas un jeu.
J'imagine vos traits, la chaleur de vos mains, et je vous sens si proche, là, et à portée de main. Je peux même mesurer la distance.
Je ne sais plus non plus où donc est le courage ?
Tout quitter et venir ? Rester ?
Et le votre de courage, en quoi consiste-t-il ? Vous cacher et vous taire, ou revenir vers moi?
Vous avez mon adresse, le nom du regiment.
Et puis, voyez-vous, nous n'avons qu'une vie, n'est-ce pas un argument, là, pour justement en commencer une autre ?
Il pleut.
Je me dis : chaque goutte de pluie qui rentre dans mon col est un baiser de vous, on dit qu'il va pleuvoir des jours... alors, je suis heureux.
J'entrevois des sourires et des blessures calmées, une douce harmonie et la paix et du sens à nouveau retrouvés.
Une réconciliation, celle, contre les coups injustes et rudes de notre pauvre vie. Nous étions des enfants, rappelez-vous. Et cette guerre là qui ne sait se finir.
Je m'épuise.
J'imagine, j'imagine un voyage.
J'imagine.
Je délire.
L'infirmière me sourit. Je lui demande à boire. Autour de moi, les cris de soldats suppliciés hantent mes oreilles.
Je prends de la quinine, du bleu de méthylène: les fièvres intermittentes (marcatu: batti u tardaveddu)
Parfois la maladie repart, elle me parle de vous, ou bien il arrive parfois, semble-il, au contraire, que c'est vous qui m'entretenez d'elle.
Seriez-vous donc soignante et serais-je assez fou pour mériter vos soins ? Sans doute.
Demain tout ira mieux, et pour vous ?
Je t'aime.
E a prima e a sola, sei sempri stata tù.