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Paisani in anda pà a fiera di u Niolu. LC Canniccioni v 1910

31/07/17

A patta

I Petri Rossi, 22 mars 1917

Mon cher fils,

Les dernières nouvelles de toi m'ont rassurée. Tu me dis avoir été élevé au grade d'adjudant et que tu es à l'arrière*, tout cela me console.
J'ai reçu hier une lettre de ton frère qui se plaint de ne pas avoir de tes nouvelles, écris-lui s'il te plaît.
Hier encore, Ange-Jean est passé, il dit que la saison va être sèche, puisse-t-il se tromper, nous avons tant besoin du rendement de Chjara Stedda. Tu sais comment il fait son calcul entre la patta et l'eau des fossés de la plaine, la maturité des bourgeons...
Avec ta soeur, nous espérons avoir bientôt de tes nouvelles.
Nous t'embrassons bien fort

*(Ch'avivu da dì ?)

Amok e parmissioni

"J'aimais ces ruelles de villes étrangères..."

O quant'eddi mi piacivani ssi picculi carrughji di ssi cità stragneri, stu marcatu spuriu di tutti i passioni, cù ssi massi clandestini di tutti i seduzzioni fatti da matalò chi, sazii d'i sò nuttati sulinghi nantu à mari luntani, priculosi, chi entrani cuì à passassi una notti, da sudisfà in un'ora, sò passioni parrechji di tutti li sò sogni. I si devini piattà ssi notti sulitarii, in qualchi fondu di a città, in ssi carrughji, ch'eddi diciani, cù fumi e insistenza, ciò chi i casi chjari cù li sò vetri luccicanti (induva stani i sgiò), piattani sottu à mascari, middi. Cuì a musica sona e fà entra la ghjenti in picculi stanzi. I cinematografi, à l'affissi viulenti, sò segni di prumessi di splandori infiniti; certi picculi lanterni quadrati si piattani sott'a li purtoni e, com'à segni, d'un salutu cunfindanziali, vi mandani un chjaru invitu. D'una porta scantata, spampiluleghja a cari fresca e nuda sott'à panni pinti d'oru. Ind'i cafè, i briacconi vi cacciani mughji e si senti cuddà u fracassu di l'attachi da omi inchjuccati à u ghjoccu. Ridani in sottu i matalò quand'eddi s'infattani in quiddi locchi; si svegliani tandu or' li sò tristi sguardi, chi cuì si trova ciò ch'omu cerca : donni, ghjocchi, spettaculu e briacchini, vintura ch'edda sighi tamanta vintura o brutta vintura. Ma tuttu, à l'appiatu si fà; chjusu à darretu à l'aletti di i balcò, balcò chjusi cù falsia. È ciò chi pari ritegnu, doppia a voglia, d'un cantu da fascinazioni di u misteriu, e da l'altru, da l'accessu senza guai. Ssi carrughji sò listessi in Hamburgu, Colombo, La Habana; sò da partuttu listessi, tal'à ssi larghi corsi di u lussu, parchi chi i cimi o i fondi di a vita sò tutti di a listessa forma; sò carrughji incivili, chi cummovani par ciò ch'eddi diciani e traghjani par ciò ch'eddi taciani, u fantasticu ch'arresta à l'ultimu d'un mondu cù li sensi lintati duve si scatennani cù crudezza e senza ritegnu, una furesta bughja di passioni, un prunicaghju pienu à feri. U sognu ci si pudiva fà carriera*.

Henri Gervex (1878)



*Stefan Zweig, Die Mondscheingasse, missu in corsu da a versioni francesa di A Hella, La ruelle au clair de lune. Le livre de poche, LGF, Paris 2016.

Seul

Lejean : "Adjudant, encore à vos plumiers et vos éternels monceaux de papier ? Je vais finir par vous faire nommer aux écritures, bigre !!!"
Eiu :  (...)
Tand'eddu : "Imaginez, un instant, un monde sans Elle et imaginez-vous maintenant dans 30 ans et toujours sans Elle, et vous. Vous, soigneusement assis à votre table d'écolier réalisant, fou à lier, vos pleins et déliés... seul (risi) !
Comme si le monologue était le résumé notre vie d'adultes sur cette terre ?"

Remember (2)

Mon cher filleul,

Surtout, ne me grondez pas. Hier, notre logeuse Mme D du B est revenue à la charge: "Ma pauvre, combien de temps encore allez vous attendre que l'on vienne vous cherchez ? Ne croyez-vous pas mériter mieux ? (elle parlait de vous)".
Alors, j'ai simplement répondu, avant de repartir:  "C'est comme cela que je l'aime".
Voilà vous savez tout.

Votre Hughette

Gourbi (remember...)

Lejean mi dissi:

"L'Aisne coulait à nos pieds
Ses lignes s'évaporaient,
Enlevées par la brume,
Elles semblaient flotter,
Emportant loin de nous,
Les rumeurs ennemies.

Aux portes de Soupir,
Le monde s'appliquait
À tuer tout espoir.
Dans un gourbi infâme,
Saturé de suie noire,
On brûlait une flamme:
Hommage à un soldat,
Hassan,
Mort ici par hasard."

E par a prima volta,
Piensi u nostru capitanu,
A morti d'un titanu,
D'un essaru umanu,
Priori macumittanu...

Soupir, 
un gourbi dans un boqueteau.

À C. (7)

Un si avedi omu micca di l'anni chi fughjani, parò passati l'ori, u tempu un volta più, tandu, ti martirizeghja.

(È mortu oghji à Assan suldatu di prima trinca sempri pronti à fà i centu colpi. Tombu d'una bomba falata cuì, à un metru. Arristava à sò vesta e unu di li sò scarpi.)

Sur le front de l'Aisne, ce 25 mars 1917.

30/07/17

Verso

Dieu, si seulement Elle pouvait enfin se retourner...
Oh Diu meiu, pudessi edda vultassini, infini...

Vilhelm Hammershøi
Ditagliu, v.1910

Névroses

Murmughjava: "U passatu mai nun passa..."
Tandu à Lejean: " Adjudant que dites-vous donc ? Vous nous parlez en corse ? Vous risquez, sans doute, d'être peu compris, de nous tous surtout (risi). Nostalgie du pays ?"
Eiu: "Nostalgie du passé, du passé passé, mon capitaine."
Lejean: " Vous n'en sortez donc pas !"
Eiu: "Non !"
Lejean: "J'ai, alors, un autre médicament: les bombes allemandes. Elles anéantissent tout, les regrets, les pensées, les sourires et même les silences et surtout le silence. Elles font place nette et aident les cerveaux à se remettre en place.
C'est un médicament miracle pour les neurasthéniques ou les mélancoliques, les folies quelles soient diathésiques, chlorotiques, anémiques...
Eiu: "Vous croyez ? Je La cherche partout. Et je guette Son visage sur chaque portrait des fiancées de chacun de nos pauvres soldats. Et je la cherche encore tout au fond des égouts que sait construire la guerre...
Je la trouve, Elle me fuit alors comme si j'étais la peste. Mais, je ne suis qu'un homme avec toutes mes faiblesses."
Lejean :  "Tout cela passera, nous avons désormais tous, devant nous, plus de souvenirs que de projets véritables. La Guerre nous rend si laids, Elle nous oubliera !"
Dissi à Lejan, chjamatu ad'altri affari.

à P.

19/03/1917

A tè, l'amicu caru, oghji sparitu, chi sè sempri ind'u mè cori. "L'acra lingua di i morti si ripiglia sempri ind'una prumessa di vazzina." Andrée Chedid

U passatu passatu

"Une mori mai u passatu, mai. Un passa mancu u passatu..."

Meisje met de parel

Misgia, pirula piatta indi sò occhji, maraviglia...


 Vermeer, v. 1665, ditagliu

29/07/17

L

Lejean: "Sait-elle seulement que je savais mieux qu'elle les arcanes de la vie ? Non, sûrement pas, trop pressée, trop fière, trop sûre d'elle, trop impulsive et au fond, trop blessée. 
Justement ! 
Adjudant, me voilà moi aussi mangé à la sauce doucereuse du repentir. 
Allons venez, le colonel va nous donner ses ordres et ses ordres agissent en moi comme le meilleur médicament contre la nostalgie. L'action, la traque, le combat, de quoi vous faire oublier toutes vos petites misères... la léthargie comme l'adenite scrofuleuse définitivement (risi). La guerre voyez-vous, nous guerrit beaucoup. 
Venez, allons prendre les mauvaises nouvelles (risi)..."

Adjudant ! (4)

Très chère Hughette,

Hier au soir, au milieu du grouillement de mille cafards noirs, j'ai enfin retrouvé votre sourire, intact. Intact, le port de votre tête et votre dos si droit et le bout de vos doigts, votre bouche cerise, vos très douces gesticulations.
Ce songe avait au moins cent ans semble-t-il... C'était pourtant bien vous. Vous étiez habillée d'un inhabituel chemisier blanc parsemé de fleurs bleu marine imprimées. Vous disiez être revenue me chercher.
Les circonvolutions atterrissent un jour et parfois même s'exhalent en des instants magiques.
Manquait le timbre de votre voix celle, éternelle, de vos si doux reproches.
Vous me sembliez lointaine et pourtant en refermant ma main, j'ai enfin cru vous tenir tout au fond de ma poche.
Mais ma poche était vide et votre main tenait serrée la mienne, comme par le passé, vous aviez su si bien le faire.
J'ai rêvé et puis, j'ai oublié mon rêve.

Ne plus penser. Servir mes galons !!!

A Madonnuccia

18 di marzu 1917,

Mi n'avegu appenna, oghji era a festa di a Madonna in Aghjacciu.
O Santa Marì, madre di Diu prigheti par noi, pà a paci e par tutti ssi famigli indugliati.

"A Madonnuccia", o chi dolci e bedda parodda d'amori schiettu.

28/07/17

Adjudant ! (3)

Sur la ligne de U..., ce 12 de mars 1917.

Très chère Hughette,

Je vous adresse ici une photographie récente, celle de mon unité.
Sachez encore, grande nouvelle, que je viens d'être nommé adjudant ! De quoi largement améliorer mon pain quotidien mais surtout celui de ma famille au village que j'imagine dans un grand dénuement.
Me reconnaissez-vous (deuxième à partir de la droite)? Il fallait que ne nous bougeions pas, alors, j'ai bougé...
Et la photo est floue comme l'est mon projet.

Adjudant, imaginez-vous, j'espère que vous êtes fière de moi.
Plus rien désormais ne peut plus m'arriver... et comme on le sait, les adjudants d'aujourd'hui sont ceux qui ont survécu à la mort d'hier, n'est-ce pas ? Alors.

Je crois que je vous aime.

Da, Histoire de couleurs, 
à ringraziaddi

Adjudant ! (2)

Pocchi ghjorni doppu a me numinazioni passedi una sirata cu lu me capitanu. Tandu eddu :
"Adjudant, connaissez-vous cette prière ? Elle est dite certaines nuits au tout fond des tranchées noires. J'ai vu encore hier, des hommes, des géants, et des géants sans peur, voyez-vous, dire et prier:

"Le soir tombe, semblable au-dessus des deux lignes
Semblable de tendresse et de rédemption.
Encore un jour passé que nous abandonnons
Pour mieux aimer demain dont l'espoir nous fait signe.

Le soir tombe, Seigneur. Sous sa feinte douceur
Que cache-t-il, tendant la trame de son ombre ?
Quel invisible doigt parmi nos rangs dénombre
Ceux dont le dernier jour sera ce jour qui meurt ?

Quels d'entre nous verront le prochain crépuscule ?
Quels verront la Victoire et l'ultime combat ?
Notre désir grandit, s'exalte, se débat,
Et, douloureux se tend vers le but qui recule.

Sans la flamme, Seigneur, les flambeaux ne sont rien (...)

D'autres heures naîtront, plus belles et meilleures.
La Victoire luira sur le dernier combat.
Seigneur, faites que ceux qui connaîtront ces heures
Se souviennent de ceux qui ne reviendront pas. "

de Sylvain Royé 

26/07/17

Adjudant ! (1)

Puitava in francesu avali, mancu da dì :
"Soldat d'une armée en déroute,
Adjudant d'une troupe qu'on redoute et qui doute et redoute."
Ohimè ! Adjudant !

A scummunicata (2)

Da a sò stacca tandu Lejan mi cacciò una fotografia ch'eddu si tiniva.
"Tenez sergent, Boucher a exaucé votre rêve ! Robin aussi l’a fait…" E li scappò a risa.
Sarà, sarà...
"Ah, les journées de soldats... Et pour votre peine, sergent, sachez que le colonel pense à vous pour le grade d'adjudant ! Je n'ai pas pu dire non."

Alfred Boucher, 1897
(c) Musée Rodin

A scumunicata (1)

Erami di notti. Di quiddi notti pagni senza mancu un fiattu in d'aria. Tin-tin si ni durmiva in prighjò. Era à u sò postu ghjustu.
Eru eiu di guardia, quidda notti, sintinedda d'un mondu rigalatu à a morti stessa e à tutti li sò servi.
Comu sarà che nò semi vinuti cù Lejean à parlà di ssi cridenzi anziani ?
Mi dissi quidda di i "menhirs" (i stantari) d'induva eddu.
Tandu eiu :
"Il y a chez moi une triste légende. Celle d'une femme qui avait commis un péché dont seule une femme peut souffrir.
D'un coup, d'un seul, elle fut transformée en pierre. Rejetée du monde du vivant. Elle fut excommuniée, ("scumunicata", comme disent les vieux de mon pays). Rejettée du vivant au minéral. Sa présence est là, à l'infini des temps, sa pénitence. Chez moi, au dessus du village, un rocher porte encore son nom.
Enfermée dans sa faute, elle ne peut plus parler. Elle ne communie plus. Elle ne peut plus prier. Elle ne peut plus aller vers l'autre, vers le sien.
Pour moi, elle n'est pas morte, elle est juste emmurée. Et son silence est désormais sa vie, et son secret est sa croix immuable. Personne ne lui parle de pardon."
"Sarratu, le Démon est dans les êtres."(1) Dissi tandu à Lejean.
"Je ne sais pas. Moi, capitaine, je sais que je lui ai pardonné. Parfois la nuit, je parcours la distance qui me sépare d'elle et je la caresse et alors, je lui parle, mais elle ne répond pas, la pauvre.
Et parfois, quand il pleut, gouttent alors ses larmes salées ruisselant de la pierre. Et je me dis qu'elle prie, et je me dis qu'elle pleure. Et moi, ses larmes, j'essaye de les boire toutes."
"Sarratu, je ne comprends pas forcement tout. Vous êtes un romantique." Mi dissi à Lejean presu d'una risa narbusina.
In trà me stessu mi dissi: ma chi sarà un "romantique" ?
J'attends avec patience le degel du carcan de ses douleurs (2), la pauvre. Je l'aime.

(1) L'ha detta à Lejean, ma l'ha detta ancu Cioran.
(2) Si dici chi F Nietzsche avariu scrittu qualcosa simuli, poccu nanzu ?

Le steddè

Erani ghjunti da un mari indà (ma d'un mari maiori quantu à a mità da u mondu, m'ha dettu à Lejean). Ghjunti da a Mericà ?
Erani ziteddi com'à s'astri.
Ci n'era unu chi cantava stà canzona:
"Iè, le steddè"*.
À cantà era un certu Bi Holidays. T'avarà avutu 19 anni. Un ziteddu.
Circava à capiscia i paroddi ma anh, anh...
L'aghju tandu fattu mottu di marcammi i paroddi e tesu carta, peni e calamà. E tandu, m'ha scrittu i paroddi di stu "dez-dez-de..."**


Yesterdays, yesterdays
Days I knew as happy sweet
Sequestered days
Olden days, golden days
Days of mad romance and love

Then gay youth was mine, truth was mine
Joyous free in flame and life
Then sooth was mine
Sad am I, glad am I
For today I'm dreamin' of yesterdays

Yesterdays, yesterdays
Days I knew as happy sweet
Sequestered days
Olden days, golden days
Days of mad romance and love

For then gay youth was mine, truth was mine
Joyous free in flame and life
Then sooth was mine
Sad am I, glad am I
For today I'm dreamin' of yesterdays

*Yesterdays
**Days

Paroddi : Lennie Tristano
© Sony/ATV Music Publishing LLC

25/07/17

Tin-tin

Dui ori di mani.
Ma comu mi sarà vinutu quistu in manu cù i sò: "Die hoffnung stirbt zuletzt*", (dì ô funghi, sterpu st'erba zù, lestru, lestru.) à sappè ciò ch'eddu t'aviva à dì ?
D'induva ch'eddu sarà vinutu ? Da ssi Prudi Urientali ? D'altrò ?
Ah certi cosi, vi dicu !
U m'eru trovu, quissu, in uni scorru di a "tranchée" 123b à manca, inzilittu e mortu da a paura, fucili in tarra e mani soppra à u capu. Cù li sò "Tin, tin" in bocca, tin-tin-tintacciu. Aghju capitu eiu chi Tin-tin era u sò nomi à eddu.

U purteddi indi u capitanu.
Tandu à Lejean, "Amenez-moi tout cela en prison, on verra demain, car ce soir j'ai sommeil, sergent, et demain il fera jour..."
U tipu era moru, barbacciutu, forti e maiori. M'assumigliava... m'assumigliava, mancu dà dì !"
Và tù à credala.

Tin-tin
(Da ECPAD)


*(À l'ultimu è a spiranza à mora)

23/07/17

Cher Sarratu

Cher Sarratu,

Quelle vie me promettez vous donc ?
Je suis en colère devant vos silences injustes. Je ne vous comprends pas quand vous cessez d'écrire. Que voulez vous me dire et que voulez vous me taire ? Où donc m'amenez-vous ?
Je vous ai promis mon amour, je ne puis me dédire. Je me promets à vous et vous, vous vous terrez.
Qui suis-je ? À quoi donc voulez-vous en venir ?
Je bous.
Et après, que deviendrais-je ?
Voulez-vous me promettre à un autre ?
Je défaille.
Je me noie.
Je vous aime.

Nustalgia

Tandu Lejean mi dissi :
"Tu sais Sarratu, Je vais te donner ce que je crois être la solution: la nostalgie est toujours en vente dans des magasins vides, tu comprends ?"



E ch'avivu da dì, eiu ?

Acqui e acqua

In fini, ci truvedimi infusi, trosci, ciangagliosi. L'acqua minuta, quidda chi nun è criduta, picchja i ciarbeddi indebuliti. I notti s'assumigliavani e i notti parivani ghjorni. 
Fusei, cannunati, tiri e altri, strappavani i veli di u celi. Si sintiva a tarra scatavultulata chjamà "Aiutu". 
Pò, falava u silenziu e s'inguttupava ssi locchi.
Tempu par l'omu di ripiglià soffiu. Dumandavami:
"Una minuta sola, aiò, pà piacè."
E pò stonda doppu baddava a caldianata.

Nostra vita cusigna. Dumani venarà... Quali è chi a sà ?



À Malù, suldatu tiragliori

E sò ghjunti cui sta sera
Chi battiva lu tam tam
E di ritmu in ritmu
Battiva a frenesia

Di l'occhji a frenesia
Di i mani a frenesia
A frenesia
Di sti pedi di petra
DIPOI
quanti MÈ MÈ MÈ
Si ni sò morti
Dipoi ch'eddi sò ghjunti sta sera
Battiva u
tam
tam
Battiva di
Ritmu in
Ritmu
A frenesia
Di l'occhji
Di i mani
A frenesia
Di sti pedi di petra

(Léon Gontran Damas, Pigments, Présence africaine, 1962)

Chère Hughette (2)

Chère Hughette,

Les coups pleuvent, comme d'habitude.
Comme d'habitude des hommes tombent et l'on peut imaginer au loin les plaintes de leurs épouses éplorées.
Oui, chère Huguette, les corps saignent en d'infinis, torrents livides. Heureusement car nos larmes se sont depuis longtemps taries et nos mots, eux, restent sagement figés.
On s'habitue donc à tout et sutout à la mort. La vie savait surprendre. La mort, elle, est une maîtresse facile et tellement prévisible dont, ici, personne n'a plus vraiment peur.
Bien sûr, il reste les: "Si je vis, je..." et suit alors la litanie de nos pauvres rêves épuisés.
Chère Hughette je vous livre mon "Si..." et vous laisse l'imaginer car, vous êtes seule à me connaître tant. Comme, au fond, je suis peut-être le seul à vraiment vous connaître, n'est-ce pas ?
Il y a tellement de temps que nous nous aimons.

21/07/17

Chère Hughette (1)

Hughette,

Votre silence gluant colle aux madriers de la tranchée 187. Et je me demande:
-Priez vous toujours ?
-Et pour nous, aussi ?




(Lettre publiée la première fois le 21 février 1916, soit plus d'un mois et demi après le dernier signe de vie d'Hughette depuis son arrivée en Normandie.
Un courrier précédent de Sarratu à Hughette était intitulée "Adieu Hughette"*. Il semble que les voeux de Sf, postés soigneusement le 31/12/1916, soient restés sans réponse, sans qu'on ne sache si cela venait de problèmes de distribution du courrier ou du véritable silence de l'être cher.
Quoiqu'il en soit, après 30 mois de guerre, d'instruction civile et militaire, de contacts avec les uns et les autres, Sf maîtrisait désormais parfaitement le français.)

*Voir Sarratu fora, parti (2)

Debii e lavureri

A ghjurnata sola un bastava. Era cusì dipoi sempri:
Mi tuccava avà, à traccià, rompa e cruccià.
Nostra vita cusigna, chi vuleti...

20/07/17

Ouistreham (1)

Ouistreham ce 29 décembre 1916

Très cher Sarratu,

Me voici donc, comme prévu, en Normandie... Nous sommes parties dimanche de Paris, Mme D du B tenant absolument "à passer son Noël presque comme si rien n'était".
Après un épouvantable voyage de 12 heures (métro puis train, diligence et calèche, ouf !) nous arrivâmes enfin à destination.
Le ciel m'est apparu immense, si haut. Je n'avais jamais vu de nuages si grands, si ronds, si gris, si bleu clair, si rose, si pourpre et à la fois azur et ainsi si tendus vers la voûte infinie du monde.
Je n'avais jamais vu la mer, j'ai pleuré comme pleure une enfant et j'ai alors pensé à vous. Un peu comme si vous étiez en chacune de mes larmes ???
Je me suis aussi souvenue de ce que vous m'aviez dit de ce que faisaient les hommes, chez vous, pour se protéger des balles au combat. Aussi je vous adresse cette médaille, puisse-t-elle vous protéger et vous porter bonheur. Puisse-t-elle encore veiller sur nous deux et sur notre avenir (...)
J'ai ri aussi près des parcs à huîtres en entendant des échanges entre marins faits de "heulà" et autres "che-che-che" chatoyants.
Alors je m'essaye au normand : "Ch'te matin chuis rarrivé qu'à sept heures du sè à Caen, et cha marchait pas vit'. !"
Me comprenez-vous ?

Votre Hughette.


Confiteor

Je revois, de ce corps, la puissance de l'être.
Et puis en un instant la volonté contraire,
Et d'un ultime assaut, une blessure profonde.
Ô vie, on me dit que c'est toi qui arbitre les choix ?
Et là, tu l'abandonnes.
Et là, en un instant, c'est la Mort en vainqueur qui traîne fièrement ses reliques en linceul:

La défaite est totale.

19/07/17

Noël 1916

Sunniatu aghju sta notti di Natali d'un visu fattu à quartoghju cusgitu cù pezzi neri e bianchi.
U mi l'aghju vulsutu tena, parò m'è scappatu quand'e mi sò discitatu.
Sarà statu forsi lu vostru, u voltu ?

16/07/17

Guerra

Chjamani "fini di i tempi", appuntu u ghjornu chi si mostra com'eddu è : esplusivu, affundevuli, accendivuli, comu diciarini "guerra", u ghjornu chi l'anima umana suivita u sò versu naturali."*

*Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe, 1943.

15/07/17

À C (10)

Sogu eiu l'arrori chi ti è piaciutu à cummetta.

Malù

Malù est africain.
De ces troupes engagées très souvent sur le front, toujours en première ligne. Alors je lui demande s'il a peur de mourir, ce qui peut arriver. Sa réponse me plait, il dit : "On ne tue pas deux fois, crocodile déjà mort !"
Je lui demande alors : "Malù, mais qu'est-ce qu'un cocodrile ?" Et dans un rire sans fin, il me répond: "C'est toi !"

Voici l'aube. Sans doute, vas-tu me lire. Au loin un piano noir semble jouer des arpèges sans fin, je rêve. Je rêve. Le mot d'imprégnation, minable s'il en est, revient dans ma mémoire... il aura coûté cher.

Je ne dors plus, je rêve.
Je rêve que l'on se parle, je rêve que tu m'aimes, je rêve que tu reviens, je rêve que tu m'écris, je rêve que l'on se tient et que l'on vit ensemble, sans fin.

Impregnation, je t'aime.

Malu, sinigalesi e tiragliori, 1916

14/07/17

À noi (annoi)

O morte secca pianta,
Deh, veni o morte*
Et savoir enfin l'irresistible Eternitè**.
E stancià per sempri l'irreparevuli soffiu,
D'una prumessa à vena :
La nostra trista sorte,
D'u nostru amori loffiu.
Et cesser de penser: et,
Mourir d'abord et puis donner la mort.


*Esposizioni, sonetto 54, Torquato Tasso.
** Lettres à Lou, novembre 1914, G Apollinaire.

Le 17 décembre 1916

Mon si cher Sarratu,

Vous me dites qu'il vous manque ce qui éclaire pour pouvoir mieux me lire.
Je n'arrive pas à croire qu'une chose pareille nous soit arrivée, alors que nous allions si bien ensemble. Cela n'aurait jamais dû se produire.
Je me sens perdue et victime de mon orgueil mal placé.
Je vous aime.
Hughette

Ps: Je me sens si seule.

12/07/17

Da Vinci-a o da perda ?

Stavami cuì, à corpi e animi martirizati.
I spiriti malagni accupati à spinzà punti di freccii murtali.
Nostra vita cusigna...
O San' Bastianu, aiò, prigheti par noi.

L. da Vinci, (c) Tajan

Ce 16 décembre 1916

Très chère Hughette,

J'ai reçu votre lettre mais ici, la lumière est si faible que j'ai du mal à lire.

Lejean, mon capitaine, m'a parlé des musées et des expositions et puis des hiéroglyphes, d'un certain Champollion et de ses découvertes : il est des mots obscures qui éclairent une vie, comme il peut exister de grands silences, clairs, pour assombrir les temps.
Ici, il pleut et ici déjà le froid s'en est pris à nos corps. Nous tenons.

Je vous aime: en français, en corse* et même en hiéroglyphes**.

*(Ti tengu caru)
**(Mrì``ì``țn)

Vae, và !

Vae victis, e basta.

11/07/17

Ghjeroglifi, chi sò scritti divini

Paris, le 15 décembre 1916

Cher Sarratu,

Que vous dire ?
Si, dimanche dernier notre logeuse nous a amenées, tante et moi au musée du Louvre. Le musée, qui est à moins d'une heure de la maison, est installé dans un ancien palais royal austère aux murs noirs et tristes, vraiment tristes.
Nous avons visité des salons très divers, dire que je ne savais pas ce qu'était un musée !
Ce qui m'a le plus impressionnée est, sans doute, la collection égyptienne. On y trouve, par exemple, la tête roi Didoufri (ce nom m'a fait rire...) tout récemment acquise par le musée. J'ai été interpellée par ses yeux profonds mais figés, gravés dans un bloc de grès rouge, si finement taillé.
Plus loin, on découvre des pierres couvertes de dessins. Mme du B. m'explique qu'il s'agit là de la première écriture que le monde ait connu des iè-rò-glifes. À chaque dessin correspond un mot ou une syllabe et le tout forme des phrases étonnantes. Sur une pierre, on peut ainsi lire: "Khéperkarê doté de vie et pouvoir comme Rê éternellement, aimé de Satet". 
Je n'ai pas tout compris mais j'ai retenu qu'il y a donc plus de 4 000 ans l'amour éternel existait déjà !
J'aimerais savoir déchiffrer ces rébus. Comprendre ces signes muets dont l'ordonnancement est aujourd'hui devenu inutile mais dont le sens persiste et qui a pu traverser les siècles.
Apprendre à écrire ces signes, pour ne pas être comprise.
Peut-être pour écrire à quelqu'un qui ne veut plus me lire ?
Oui, c'est ça, je crois que je voudrais écrire à une pierre qui ne puisse plus lire, plus me répondre, je vous aime.


Puvarettu

Povaru à eddu, povari à noi...

(C) ufunk.net

10/07/17

5 décembre 1916

Les jours semblent plus longs, avec eux, leur cortège de peines.
Je vous ai écrit hier, répondrez-vous jamais ?
Imaginez un instant si cette seule promesse de néant était la certitude qui compte ?

09/07/17

Lettre à une absente

4 décembre 1916

Chère Huguette,

Le front est calme.
Votre lettre m'est enfin parvenue. Elle est datée du 23 novembre 1916.
Je ne sais que penser: est-elle la dernière que vous m'ayez envoyée ou les autres se sont elles perdues en route? Au ton que vous employez, il me semble que ce soit bien la première depuis des mois. Celle, en sorte, qui met fin, enfin, à ma punition.
Que vous dire d'abord ?
Que dés sa réception, un doux feu intense s'est emparé du profond de mon être. Les obus prussiens font moins de chaleur en moi, que ne peuvent faire chacune des lettres de chacun de vos mots.
Je vous ai trouvée distante, cassante.
Que dois-je dire pour enfin me justifier?
Que je sais être lâche ? Oui, oui, oui !
On peut, vous devez le savoir, réussir ses sorties de tranchées, s'époumoner au sifflet du "à l'attaque" et houspiller les hommes (surtout, les misérables, ceux qui réfléchissent et qui ont peur de la mort). Oui, on peut avoir ce courage là et se désespérer d'une absence, d'un silence, d'un mépris, et fuir, alors, alors qu'on veut rester.
Huguette, je-vous-aime, et cet aveu me coûte autant qu'il est sincère.
Je vous aime depuis notre rencontre, depuis avant même votre tout premier souffle. Et vous devez savoir que ce silence résonne en moi comme un immense vide au coeur d'une montagne qui s'en va s'effondrer.
De ce que je sais de vous, cet aveu ne touchera qu'une partie de vous même. Comme si vous étiez deux:
Comme j'aime la claire, je redoute la sombre: celle qui s'enferme et qui se persuade. C'est la sombre qui sort le plus souvent vainqueur de ce combat singulier qui se déroule en vous. Mes mots, mes pauvres mots touchent donc l'une, comme ces mêmes mots glissent sur la peau rugueuse de l'autre. Des mots qui ne sont surtout pas là pour vous toucher mais qui sont simplement là, pour vous dire.
Je vous aime et ce depuis toujours et avant notre rencontre, avant votre enfance même. Et alors ?
Vos mots ont guéri mes nuits noires et mes journées blanches, sans répit, et vous êtes à moi !
Votre silence, votre sévérité nourrissent mon désespoir, chacune de mes pauvres làchetés, source parfois de nos échecs et alors, là justement: je vous perds ou je fuis.
Pour ce qui est du reste, l'avenir l'écrira. Je vous en supplie, ne joignez pas votre encre noire à ce triste spectacle.
Huguette, vous l'avez donc compris: un mot, un seul mot de vous est une onction précieuse, pour un être affaibli par la pluie, le froid, le noir, la charogne, la gangraine qui nous touchent, pauvres hommes, déjà meurtris, déjà morts mais malheureusement, encore vivants.
Comprenez-vous cela ? Y répondrez-vous ? Faut-il que je déserte ?
Oui, j'ai besoin de vous voir pour rendre un sens à nos deux existences.
Je me noie au milieu de tranchées gorgées de boues très sales. Je me noie.
Comprenez-vous cela ?
Vous même chère Huguette, trouvez-vous le sommeil ?

Sf

08/07/17

Octobre 16

Très cher Sarratu,

(Je reprends là un courrier où je l'avais laissé ce 30 octobre et vous le réadresse.)

Ma colère est presque retombée: c'était hier, j'étais sortie faire une course en bas de l'immeuble chez Monsieur Jardy. Je cherchais un flacon de pétrole pour nos lampes mais il n'en n'avait pas et comme je suis têtue, j'ai couru tout Paris pour trouver ce que je cherchais.
Chemin faisant j'ai croisé un groupe d'enfants dont le plus ancien n'avais pas plus de huit ans. Ils jouaient à la guerre. Oh, ce n'est pas leur jeu qui m'a ramené à vous, non, ce sont ces visages enfantins, obnubilés, nourris par l'instant, qui m'ont interpellée et fait penser à vous.
Oui, car je pense à vous tout le temps.
Oui votre défection m'a fait pleurer et mise très en colère. Mais ces regards m'ont dit, du moins, de ce que j'en ai compris, m'ont dit de revenir à vous.

Peste, j'aime les enfants, que voulez-vous !

Savez vous que ce 30 octobre j'ai eu 19 ans ? Je rêvais de passer cet instant avec vous.
J'ai du mal à vous pardonner mais, ne suis-je pas votre marraine? Alors cher Sarratu ne vous inquiétez pas. Je serai toujours là pour vous, toujours, retenez bien.
Écrivez-moi encore.
Puisse Dieu nous assister.

Huguette



(c) Musée Albert Khan

3 décembre 1916

Et si l'éloignement nous rendait plus lucides ?
Ne meurs pas.

07/07/17

2 décembre 1916

Très chère Huguette,

Je voudrais vous visiter: quel est le nom de la prison qui vous enferme ?



Autant, in My-Art

04/07/17

Aspirazioni

O verità, lumen cordis mei, non tenebrae meae loquantur mihi ! Defluxi ad ista et obscuratus sum, sed hinc, etiam hinc adamavi te. Erravi et recordatus sum tui. Audivi vocem tuam post me, ut redirem, et vix audivi propter tumultus impacatorum. Et nunc ecce redeo aestuans et anhelans ad fontem tuum. Nemo meprohibeat: hunc bibam et hunc vivam. Non ego vita mea sim: male vixi ex me, mors mihi fui: in te revivesco. Tu me alloquere, tu mihi sermocinare. Credidi libris tuis, et verba eorum arcana valde.

Ò verità, lumi di lu mè cori, nun lascia sti tenebri mei ad intratenami. Spapersu tra l'esseri di stu mondu, si è oscurata a mè vita. Ma cuì, puru cuì, culà, t'aghju tinuta cara à l'infinitu. Mi sbagliavu e tandu, di tè, mi sogu arricurdatu. Aghju intesu darretu à mè la tò boci chi mi diciva : volta ! Un è cà u rumori di i passioni umani ad avemi impeditu di sentati. Fighjulgu avali la tò santa fonti e à edda mi ni voltu, soffiu e sudu. Và ch'un ci sarà nimu à impedisciami ! Chi l'aghju da bia e n'aghju da campà. Un sogu la vita meia. Di mè vissi mali. Sogu statu eiu la mè morti: in tè rivivu : parlami, ammaestrami. In i santi libri toi, ci aghju cridutu eiu, ed à li sò verbi chi sò arcani maiori.

Santu Austinu, Confessioni, Libru XII, cap 10

Vérité. Lumière de mon coeur. Ne laisse pas ma part obscure me parler. Je me suis dispersé là-bas. Je suis obscure. Mais là, même là je t'ai aimé(e) à la folie. Je me suis perdu et je me suis souvenu de toi. J'ai entendu ta voix derrière moi. Reviens. J'ai mal entendu à cause du vacarme d'une impossible paix. 
Maintenant, regarde, je reviens à ta source. En feu. Le souffle coupé. 
Personne pour m'en empêcher. Je vais la boire. Je vais en vivre. Je ne suis pas ma vie. Je vis le mal de moi. J'ai été ma mort. En toi je revis. Parle-moi. Explique-moi. J'ai cru tes livres. Les violents mystères de leurs paroles. 

Saint Augustin, Livre XII, chapitre 10 (traduction de Frédéric Boyer)



02/07/17

À C (9)

"O medecin de mon être intime (...) Combien il y a t-il de choses dans la mémoire qui ne sont point entrées par le sens ?"

Saint Augustin, Confessions, Livre X , Ch. 10

(Medicu di lu mè essa prufondu (...) dimmi tù quant'eddi ci ni sarani cosi intruti ind'a mimoria mea e chi nun sò intruti da u sensu ?)

Quinine et bleu de méthylène

Camp de F. dans la Somme, 26 novembre du 1916

Bien chère Huguette,

L'impression me parcourt, il semble que cela fait des mois, des années, que je suis sans nouvelles.
Mais quelle faute, aujourd'hui donc, vengez-vous ?

Peut-être ne lisez-vous même pas cette bouteille à la mer.
J'ai donc tout raté et peut-être êtes-vous satisfaite, même, de ma plainte lassive?

Je ne sais que penser. Je trouve la punition sévère, mes mots semblent ne plus suffire. Alors, que voulez-vous? Voulez vous que je déserte ces lignes pour revenir vers vous ? Mais, comment ne pas vous déranger ? Dans votre dernier courrier, vous me disiez votre bonheur d'être à Paris, qu'y ferais-je moi même?
Or vous le voyez bien, mon chapelet à moi est fait de cent mille points de questionnement. Votre miséricorde, à vous, n'est-elle que ce silence ???

Le jeu n'est pas égal et ce n'est pas un jeu.
J'imagine vos traits, la chaleur de vos mains, et je vous sens si proche, là, et à portée de main. Je peux même mesurer la distance.

Je ne sais plus non plus où donc est le courage ?
Tout quitter et venir ? Rester ?
Et le votre de courage, en quoi consiste-t-il ? Vous cacher et vous taire, ou revenir vers moi?
Vous avez mon adresse, le nom du regiment.
Et puis, voyez-vous, nous n'avons qu'une vie, n'est-ce pas un argument, là, pour justement en commencer une autre ?

Il pleut.

Je me dis : chaque goutte de pluie qui rentre dans mon col est un baiser de vous, on dit qu'il va pleuvoir des jours... alors, je suis heureux.

J'entrevois des sourires et des blessures calmées, une douce harmonie et la paix et du sens à nouveau retrouvés.
Une réconciliation, celle, contre les coups injustes et rudes de notre pauvre vie. Nous étions des enfants, rappelez-vous. Et cette guerre là qui ne sait se finir.
Je m'épuise.

J'imagine, j'imagine un voyage.

J'imagine.

Je délire.

L'infirmière me sourit. Je lui demande à boire. Autour de moi, les cris de soldats suppliciés hantent mes oreilles.
Je prends de la quinine, du bleu de méthylène: les fièvres intermittentes (marcatu: batti u tardaveddu)
Parfois la maladie repart, elle me parle de vous, ou bien il arrive parfois, semble-il, au contraire, que c'est vous qui m'entretenez d'elle.

Seriez-vous donc soignante et serais-je assez fou pour mériter vos soins ? Sans doute.

Demain tout ira mieux, et pour vous ?

Je t'aime.

E a prima e a sola, sei sempri stata tù.

30/06/17

Saturneanu

Lejean :" Voyez-vous sergent si j'étais au Ministère en charge du ravitaillement, plutôt que d'envoyer du vin en masse, aux hommes, j'imprimerais en millions d'exemplaires ce poème de Verlaine. Il ferait, j'en suis sûr, le plus grand bien aux troupes.
Oh, il n'est pas très vieux, il doit avoir trente ou quarante ans. Il a cela de particulier qu'il convient à chacun des rêves de chacun de nos hommes. Je vous le livre tel que.
Je me demande si nous ne sommes pas tous, ici, "des aimés que la Vie exila" ?

Il commence ainsi :

"Mon rêve familier,

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur transparent
Pour elle seule, hélas ! Cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues."

Mon front blême est brulant. Et, de là où elle est exilée, voyez-vous, ses larmes me parviennent, rares mais riches, elles savent me parler, plus sans doute que l'éclat de sa voix. Et son nom il est blond, il est doux et sonore, légèrement claquant.
Je l'aime depuis toujours, voyez-vous !
Et vous sergent aimez-vous une femme ?
....